Le piano est un animal d’intérieur. Qu’il faut apprivoiser pour le faire chanter. Et un animal de compagnie, qui accompagne votre propre chant. C’est une question d’accords. Et en ce domaine, Serge Delbouis est un spécialiste, puisqu’il accorde les pianos à Rodez depuis plus de 30 ans, là-bas, au bout de la rue de l’Embergue.
Originaire du Nayrac, 62 ans, il y a 30 ans de cela Serge Delbouis se destinait plutôt à s’endormir en comptant ses semblables, versé qu’il était en option démographie dans ses études de sociologie. Oui mais voilà, le destin lui avait réservé une double croche, et le virage survint quand ils’est rappelé ses cours de piano qu’il avait suivis de 10 à 18 ans. Alors surveillant de collège à Espalion, il eut envie de reprendre ses cours. Mais sa professeure ne l’entendait pas seulement de cette oreille, et s’employa à visser les fesses de Serge Delbouis sur un tabouret de piano, d’une manière ou d’une autre. « Elle était débordée d’élèves,se souvient-il, alors elle m’a dit : tiens, vous allez prendre les débutants. »
Le démographe en puissance devenu prof de piano ? Pas tout à fait, car de fil en aiguille et d’ébène en ivoire, via un ami qui tenait un magasin de pianos à Toulouse, Serge Delbouis se retrouve à suivre une formation d’accordage et de réparation de pianos à Alès. « Le premier jour où je suis arrivé dansl’atelier de l’école, je me suis dit : là, je suis chez moi. » Deux ans plustard peu ou prou,la formation accomplie, Serge Delbouis s’installe à Rodez, comme accordeur et réparateur de pianos. Nous étions en 1987.
Et le goût de Serge pour son boulot ne s’est pas étiolé en ces 32 années passées à restaurer et accorder ces imposants pachydermes à mélodies. « On travaille sur quelque chose qui n’est pas un objet comme les autres, résume-t-il. On achète un piano pour une durée très longue. Une voiture, 10 ans après, on sait qu’on ne l’aura plus. Un piano, c’est une vie entière. » Et parfois plus.
Et même si les affres du temps ou des maîtres turbulents ont fait subir à l’instrument blessures et désaccords, Serge Delbouis se plaît à soigner la bête. « C’est un défi de récupérer des pianos dans des états déplorables et de les remettre le plus possible dans leur état d’origine, meuble, aspect et sonorité. »
Tout un travail d’artisan sur cet instrument complexe, à 75 % fait de bois et d’autres matériaux, qui dépasse parfois le siècle d’existence, avec sa table d’harmonie, ses quelque 230 chevilles tenant chacune une corde tirant à 80 kg de tension, soit quelque 20 tonnes de tension par piano. Devant tant de tension, et après une restauration qui prend en moyenne quelque 250 heures de travail par instrument, il faut alors déstresser, pour accorder le piano à sa fonction première, produire de la musique. Là, l’oreille de Serge et ses mains jouent au mécano. « J’ai vu des pianistes connus qui ont essayé d’accorderleur piano eux mêmes. Au bout d’un jour et demi, ils appellent l’accordeur. » Car s’il « faut ne pas être sourd et savoir ce que l’on veut entendre », l’oreille ne fait pas tout pour Serge Delbouis. Clé d’accord en main, « on utilise la physique, dit Serge. Le son du piano, c’est un mélange de fréquences. Ce mélange émet des battements que tout le monde peut entendre.Les fréquences aiguës ou graves sont très difficiles, la manipulation de la clé d’accord aussi. Le but, c’est de mettre la note exactement où on veut, et qu’elle reste le plus longtemps possible. » Et toutes les notes impeccablement alignées surla table, la table d’harmonie.
Dernier point qui fait que Serge Delbouis ne se lasse pas de son métier, même si dans un futur proche il passera la main et l’oreille pour son fils Bastien, qui travaille déjà avec lui depuis deux ans et demi, ce sont les rencontres. des amateurs de musique, des professionnels, et de belles histoires évadées de l’Histoire, cachées dans un piano.
En cette étrange année de confinement, et dans un avenir qui s’avance masqué, les hommes se sont accordés une pause et rapprochés du piano. De toutes les histoires et les chants qu’il recèle. « On s’en est pas trop mal sortis, avoue Serge, on a vendu pas mal de pianos, les gens se sont peut-être consacrés aux loisirs de la maison. Le seul problème, c’est les concerts, on a perdu pas mal de contrats. Et ça va continuer. »
Mais le piano a repris sa place près de l’homme enfermée, lui offrant une clé pour l’accord, une table pour l’harmonie. A la note près.
Laurent ROUSTAN
Plus d’infos : https://piano-delbouis.fr