Conservateur en chef du patrimoine, Benoît Decron est arrivé sur le piton ruthénois il y a dix ans pour prendre les rênes du futur musée Soulages. Rencontre avec le gardien du temple du chantre de l’outrenoir qui devrait prochainement dépasser le million de visiteurs.
Vous œuvrez dans les coulisses du musée Soulages et beaucoup de Ruthénois ne vous connaissent pas. Pouvez-vous vous présenter ?
Originaire de Niort, j’ai commencé à travailler à l’âge de 19 ans pour payer mes études d’histoire de l’art. J’ai suivi un cursus universitaire dans le domaine de l’art médiéval et de l’iconographie romane à Poitiers avant de passer le concours de conservateur. J’ai occupé trois postes : à Langres et à Bourbonne-les-Bains de 1988 à 1996 puis aux Sables-d’Olonne de 1996 à 2009. C’est Ludovic Mouly, alors président de la communauté d’agglomération du Grand Rodez, et Pierre Soulages qui m’ont choisi pour venir ici. Ce qui me plaisait, c’était de faire un musée ex-nihilo.
Dix ans plus tard, avez-vous le sentiment d’avoir atteint les objectifs qu’ils vous avaient fixés ?
Les objectifs, on ne les atteint jamais parce qu’un musée, c’est un travail quotidien. Les visiteurs et les projets, il faut aller les chercheravec les dents ! Ce n’est pas parce qu’on a beaucoup de succès, qu’on reçoit des centaines voire des milliers de gens par jour qu’il faut fanfaronner parce que c’est un travail continuel et que les choses ne sont pas établies une fois pour toutes.
En quoi consiste votre métier de conservateur ?
Aller au devant des gens, transmettre la connaissance, nous faire écouter. Être conservateur, c’est aussi gérer du personnel, un budget, définir une politique culturelle, choisir des expositions, travailler avec des artistes, écrire des livres, faire des conférences… avec une équipe évidemment, car tout seul on n’est rien.
Jusqu’alors propriété de Rodez Agglomération, le musée est devenu un Établissement public de coopération culturelle (EPCC) cet été. Qu’est-ce que cela va changer concrètement ?
Cela met dans le coup quatre partenaires : l’Agglo, le Conseil départemental, la Région et l’État qui vont payer à part égale le fonctionnement et l’investissement du musée. Nous allons bénéficier d’une communication plus large. Ce sera aussi plus pratique pour Pierre Soulages pour faire des donations et pour les collectionneurs pour nous déposer des œuvres. Nous aurons plus de liberté et au final, tout le monde sera gagnant. La personne qui rentre dans le musée se fiche de savoir par qui il est géré, ça c’est de la politique et moi, ma seule politique, c’est l’art.
De nouvelles donations de l’artiste sont prévues ?
Oui, dans quelques mois probablement. C’est dans l’ordre des choses. Le musée tel qu’il existe est le plus représentatif de l’œuvre de Pierre Soulages au monde et il le sera encore davantage.
L’année 2019 est celle du Siècle Soulages…
C’est un projet purement municipal et Agglomération, le musée y participe pour quelques manifestations, mais je n’ai rien à voir avec ça. De façon générale, pour voir Pierre Soulages très souvent, je peux vous dire que son âge, il le mesure à sa faculté à peindre. Avoir 100 ans c’est bien, mais ce qui l’intéresse c’est la peinture qu’il est en train de faire dans son atelier. Plus il peut continuer à peindre, plus il est heureux. Au musée, nous sommes fascinés par son dynamisme, sa vista, sa grinta, son travail. Il a une énergie folle, des projets… il ouvre une exposition à New York début septembre, prépare une rétrospective au Louvre en décembre. C’est une expérience humaine formidable de travailler avec une grande personnalité du monde de l’art qui est capable de vous parler de ce qui s’est passé en 1940, 1950, 1960…
Comment travaillez-vous sur la programmation annuelle du musée ?
L’été, même si je n’aime pas le terme de «blockbuster», je choisis des artistes connus car le musée attire un public nombreux et varié. Cette année, avec Yves Klein, nous étions déjà à 60 000 visiteurs à la fin de l’été et on devrait atteindre 80 000 voire 100 000 visiteurs. Cela prouve qu’on ne s’est pas trompé sur le choix de l’artiste. L’hiver, je propose quelque chose de différent, moins coûteux et moins lourd au niveau de l’organisation.
Pour les expositions de mi-saison, vous mettez l’accent sur la découverte et la médiation.
Oui, les gens du musée font les poissons pilotes et c’est important car cela permet à chacun d’apprendre quelque chose à son niveau. C’est mon côté prof ça, j’estime qu’il faut respecter tout le monde. Je ne supporte pas le discours politique qui s’en prend aux élites. Il faut des avant-courriers, des gens qui portent la connaissance et la donnent aux autres. Pour moi, élitiste et populaire ça veut dire la même chose. Le public aspire à la perfection, au beau, à l’intelligent et en cela, le musée a un rôle de déclencheur, chaque visite est un pétard. Ce rôle, du musée et de l’art en général, d’intéresser aux choses, d’instruire, je pense qu’il a été rempli à Rodez. Nous avons même eu des visites organisées pour des sociétés de chasse ; cela veut dire que l’Aveyronnais de base considère Pierre Soulages comme étant un des siens.
Ce qui n’était pas gagné au départ…
Jamais un musée n’est gagné au départ. Les gens préfèrent toujours avoir des giratoires plutôt que des musées. Mais parce que c’est supplément d’âme, un supplément d’identification comme la musique ou les choses populaires, il a réussi à faire sa place et on n’a violé personne ! J’ai vu beaucoup de gens venir au musée sans conviction et en ressortir séduits. Les Ruthénois sont fiers de le faire visiter maintenant.
Quel est l’impact du musée Soulages sur la vie et l’économie locales ?
On ne sait pas parce qu’il n’y a pas eu d’étude sérieuse excepté celle du conseil régional. Ce qui est sûr, c’est que depuis que le musée existe, il y a beaucoup plus de monde dans les cafés, notamment pendant les mois de juillet-août et même septembre-octobre, ça a littéralement changé la ville de Rodez. Il y a un impact économique évident ; après, il ne faut pas demander au musée de construire des gares, de prévoir des vols ou de refaire des routes. L’enclavement de Rodez est un problème récurrent, tout le monde le sait. On sait aussi qu’un certain nombre d’hôteliers ne jouent pas le jeu en fermant entre le 15 et le 30 août. À cette période, nous avions encore entre 1500 et 2000 visiteurs par jour, c’est dommage. Je pense que la révolution copernicienne n’est pas encore achevée par rapport au tourisme à Rodez.
Que pouvez-vous nous dire sur la programmation des mois à venir ?
Cet automne, il y aura une exposition sur les femmes des années 1950 intitulée « L’autre moitié de l’avant-garde » et je travaille sur un projet Fernand Léger pour l’été prochain.
Toutes les infos : www.musee-soulages-rodez.fr