Venu de sa Lozère natale en 1980, Louis Causse a été jusqu’en 2015 l’architecte des bâtiments de France, l’ABF de l’Aveyron, durant la grande période de la prise de conscience de la valeur du patrimoine exceptionnellement varié de ce département. Il livre quelques réflexions et quelques souvenirs sur un métier qui continue de le passionner.
A votre arrivée, en quel état avez-vous trouvé le patrimoine de l’Aveyron ?
Chaque monument a sa vie propre, dans l’ensemble il se portait bien ; ce qui a été nouveau c’est la conscience de sa valeur et la mobilisation qu’il a entraîné autour de lui, notamment par le biais des associations. J’ai des souvenirs précis, dans certains villages, de la difficulté de faire comprendre aux élus l’intérêt pour leur commune de défendre leur patrimoine. A cette époque on réalisait moins l’importance économique de la préservation du patrimoine, il existait une sorte de concurrence entre l’agriculture et la culture qui a totalement disparu. Dans les années 1960-1970, les bâtiments agricoles traditionnels ont souffert de l’abandon au profit d’installations modernes. Aujourd’hui, tout le monde conçoit le lien entre tourisme et patrimoine.
Vous insistez sur l’importance de la mobilisation des associations qui vous a frappé en Aveyron…
L’Etat a rempli ses missions avec les moyens du ministère de la Culture qui n’étaient pas négligeables, en particulier sur les églises rurales non protégées qui sont très nombreuses, les communes ont fait de même ainsi que le Département. Les projets de réhabilitation sont souvent lourds financièrement, c’est la somme de participants qui arrive à les faire avancer. Sur le prieuré du Sauvage, par exemple, mon rôle a été de convaincre les trois familles propriétaires de confier ce bâtiment ruiné à l’association qui s’était formée pour sa réhabilitation, ensuite, l’apport des Compagnons du devoir et des Scouts a été déterminant pour “amorcer la pompe” et montrer aux collectivités le projet et la progression des travaux , ce qui a permis de lever les premières subventions. Pour le sauvetage du château de Taurines, sur la commune de Centrès, tout est parti d’une association locale avec très peu de moyens ; les Compagnons ont réalisé là des travaux exceptionnels, inimaginables dans un cadre privé.
A vous écouter, la médiations semble être le premier travail de l’ABF…
Tout est administrativement très compliqué dans la conservation du patrimoine. Le rôle du service départemental de l’architecture et du patrimoine ainsi que de l’ABF est d’animer l’action autour du patrimoine et de la coordonner parce qu’elle est très lourde. L’ABF dispose de ce que l’on appelle « l’avis conforme » : il a le droit de dire non à un permis de construire et aux autorisations de travaux, mais également celui de dire « oui mais, à condition… ». Le partenaire ne doit pas être un administré qui rechigne, mais rester moteur de l’action. Mon successeur Patrice Gintrand, qui pratiquait le métier d’ABF en Lozère, poursuit dans cette voie.
On a l’impression que tout le monde fait du patrimoine et que tout est patrimoine. Pourrait-on redéfinir ce qu’il est ?
C’est ce que l’on reçoit de ses parents et que l’on transmet à ses enfants. Il n’y a donc pas seulement des pierres ou du paysage… C’est au fond tout ce que l’on estime important que l’on souhaite qui nous survive à destination de nos enfants et de l’humanité… Cela s’étend jusqu’à la protection des sites, mais les sites sans l’agriculture et sans la ville ça n’existe pas. Les grands monuments de l’Aveyron, Conques, Najac, Belcastel, Sylvanès… sont tous contenus dans un écrin de nature exceptionnel.
Existe-t’il encore des sites en cours de classement en Aveyron ?
En janvier 2015 nous avions une centaine de projets de protection, certains déjà anciens, car la commission régionale de protection doit traiter beaucoup de demandes. Il y a parfois des urgences qui font remonter les dossiers : ainsi le cas de l’extension de protection du palais épiscopal de Rodez, qui aurait pu souffrir de dégradations dans le cadre d’un projet hôtelier. De plus, la catégorie des monuments du XXème siècle s’est ajoutée. Je pense à une inscription récente : l‘église Saint-Joseph l’Artisan à Onet-le-Château construite entre 1962 et 1965. Je l’ai défendue parce qu’elle est liée au maître charpentier Charles qui a mis en œuvre les techniques… en “nid d’abeille”, en lamellé-collé et en charpente traditionnelle. Il a réalisé là une synthèse remarquable qui méritait d’être protégée. Elle s’inscrit dans la continuité de la protection d’un savoir-faire exceptionnel, comme c’était le cas au Viaduc du Viaur. Et pour répondre à votre question, mon successeur a encore beaucoup à faire ici.