Hélène Lanctôt,
D’un patriarcat dominant vers un plus juste équilibre ?

Rencontre avec Hélène Lanctôt auteur et ethnologue.

Hélène Lanctôt, vous poursuivez une formation en anthropologie. Pouvez-vous nous dire ce qui vous a amené à vous intéresser au patriarcat ?

Mon conjoint fait partie de cette génération, après les années 60, où les hommes ont commencé à remettre en question le modèle traditionnel de leurs propres pères. Entre leur rejet d’un modèle qui ne leur correspondait plus et le souhait des femmes pour qu’ils assument leur parentalité, ils ont dû apprendre à affronter leurs contradictions, à exprimer leurs difficultés et leurs émotions, sans pour autant renoncer à leur virilité. 
Le livre « Père manquant, fils manqué » de Guy Corneau, paru en 1989, décrit bien cette problématique.

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Les efforts de mon conjoint pour s’adapter à un nouveau modèle masculin, en évolution, avec ses hauts et ses bas, m’ont beaucoup questionnée. Je me suis demandé quel en serait l’impact sur nos fils et d’où venait ce modèle traditionnel masculin, cause de tant de souffrances. 

La question ne se posait pas pour notre fille. Un mouvement parallèle amorcé plusieurs années auparavant par les femmes, dont ma mère et mes grands-mères, proposait déjà un modèle féminin moins ambigu, plus rassurant.


Actuellement, selon vous, observons-nous un mouvement d’individualisation sexuelle ? J’entends par là la possibilité de choisir son sexe au-delà de la réalité biologique. Et serait-ce un effet de mode passager ? Ou bien un mouvement social plus profond ?

L’évolution de la vie sur notre planète a fait que, à part quelques exceptions, il y a deux sexes dans la nature, autant chez les végétaux que chez les animaux : féminin et masculin. En règle générale, ces deux sexes se complètent pour assurer la descendance d’une espèce. 

Le genre, une notion des sciences biologiques, regroupe un ensemble des espèces ayant en commun plusieurs caractères similaires. Nous faisons partie de l’espèce Homo sapiens, sous-catégorie du genre Homo. 

Aujourd’hui, un tout nouveau vocabulaire inonde les médias : personne non binaire, personne agenre, personne pangenre, personne genre queer… Il ne s’agit pas de genre,mais plutôt d’identité et d’orientation sexuelle. Ces concepts ne sont pas nouveaux, les humains ont toujours fait preuve de beaucoup de créativité dans leurs orientations sexuelles. Quant à l’identité sexuelle, l’homosexualité a toujours existé, même chez d’autres espèces animales. 

Par contre, les mouvements extrêmes risquent de laisser des séquelles. Je pense à ces tout-petits dont les parents refusent de les identifier à un sexe au principe de ne pas les influencer. Mais pour choisir une chose, il faut renoncer à une autre. Et si je n’ai rien à quoi renoncer, comment puis-je choisir ?

Mais pourquoi tout ce battage autour du sujet ? Je crois qu’il s’agit de l’expression d’un malaise profond dans nos sociétés. Les statistiques sur les taux de dépressions et de suicides parlent d’elles-mêmes. Depuis quelques années, on nous propose d’inventer de nouveaux mots. Comme si les mots changeaient la réalité. Une personne non voyante voit-elle mieux qu’une personne aveugle ? 

Le patriarcat a désacralisé le féminin et le masculin et s’est construit sur leur opposition. Est-ce surprenant que tant de personnes ne s’y retrouvent plus ? Si nous comprenons que nous n’avons pas à choisir l’un ou l’autre, que les deux forment un tout, autour de nous et en nous, plus riche de possibilités dans leur unité, nul besoin de réinventer de nouvelles catégories pour caser tout le monde.


Comment percevez-vous alors l’avenir « sexuée » de nos sociétés ? Les relations hommes-femmes vont-elles évoluer ? Et, si oui, comment selon vous ?

J’espère vivement que les relations femmes-hommes vont continuer d’évoluer ! Dans quelle direction ? N’ayant aucun talent divinatoire, je ne saurais le dire sinon que, si les humains cessent de se reproduire, notre espèce disparaîtra. 

Je ne peux qu’espérer que toute cette remise en question sur le rôle des femmes et des hommes se poursuive. Peu de temps auparavant, nous aurions souri à l’idée qu’un homme assume une garde partagée ou qu’une femme pourvoit aux besoins économiques de sa famille. Et pourtant !


Vous vous êtes intéressée aux cultures autochtones. En quoi le point de vue de ces cultures est-il enrichissant pour notre compréhension du monde ?
masculin feminin maya

Les Peuples Premiers d’Amérique du Nord partageaient une pensée animiste. Ils croyaient qu’une force vitale animait chaque animal, chaque végétal, chaque élément naturel, comme les pierres, la pluie, la lune. Les sciences de la physique ont prouvé depuis l’interdépendance et l’inter-influence entre tout ce qui existe. Ils croyaient que les battements d’un tambour pouvaient guérir. L’imagerie cérébrale a démontré que le rythme de quatre battements par seconde permet aux ondes du cerveau de passer de bêta, celles des activités courantes, à thêta, celles de la relaxation profonde en plein éveil. Aujourd’hui les sciences corroborent ce que ces peuples savaient intuitivement. Juste retour du balancier ? 

Puisque l’inconscient collectif d’une société représente sa culture, alors seul être confronté à une autre culture nous permet de comprendre la nôtre.

Avant la colonisation, ces sociétés autochtones étaient égalitaires, régies par des cercles de paroles, sans division sociale, sans pouvoir coercitif. Leurs enfants élevés librement, jamais rabroués, car l’erreur permet de grandir. Le prestige se construisait autour de la capacité à partager et à s’impliquer, et non pas à accumuler des richesses. 

Qu’est-ce que cette culture raconte sur la mienne ? Elle met en lumière son influence encore très présente dans la société québécoise moderne, dans nos modes de fonctionnement et notre législation. Elle pointe aussi du doigt ce que nous avons perdu. Aujourd’hui, les voies autochtones se lèvent un peu partout sur la planète. Pourquoi ne pas les écouter ?


Vous animez des cercles de femmes : les Loges de la Lune. Pouvez-vous nous en parler ?

Les Peuples Premiers d’Amérique du Nord honoraient la femme en tant que mère et éducatrice du corps social, ainsi que porteuse de vie et visionnaire. Pendant le cycle naturel des menstruations, connu sous le nom de temps des lunes, les femmes se retiraient dans un espace sacré qui symbolisait un utérus. Elles se rassemblaient pour honorer et célébrer le puissant et intuitif temps de leurs règles. Plus de travail, plus d’enfants à nourrir, un temps pour se reposer, échanger et surtout rêver. Car durant ce temps les femmes recueillaient les enseignements de la Terre-Mère, qu’elles partageaient ensuite à toute la tribu. Participer à une loge de la Lune, c’est se reconnecter à son féminin sacré, et cela peut bousculer singulièrement. Ma première expérience de loge de la Lune a marqué un tournant décisif dans ma vie.

Souvent la tortue représente l’esprit du féminin. Elle sait entrer en elle-même pour accueillir ce qui émerge de l’intérieur. Les pouvoirs de la tortue sont l’intériorité, la gestation, l’intuition, le silence, l’écoute, la lenteur, la patience. Le monde va trop vite, il risque de percuter un mur et on le sait. L’anxiété ne cesse de monter. La sécurité ne se trouve qu’à l’intérieur de nous. Marie-Josée Tardif, co-auteure du livre « On nous appelait les sauvages », écrit qu’il est impératif de se connecter à la tortue et d’arrêter de se connecter à notre téléphone !

Toutefois, parler de féminin sacré n’exclut pas le masculin sacré. Les deux nous habitent. Embrasser l’un, ne va pas sans embrasser l’autre. Il n’y a pas que les femmes qui doivent se connecter à leur féminin sacré… Les hommes aussi !


Et les cercles d’hommes : sont-ils tout aussi importants selon vous ?

Les femmes ont amorcé une réflexion sur leur rôle bien avant que les hommes s’y mettent, et si nous regardons en arrière, cette réflexion s’est quelquefois radicalisée. Nous assistons présentement à une montée du masculinisme. Peut-être est-ce en réaction à cette radicalisation du féminisme ? Ce mouvement, qui prétend que les problèmes des hommes, tel le décrochage, l’échec scolaire et le suicide sont causés par la domination des femmes, réclame le rétablissement de valeurs patriarcales sans compromis.

Qui sont les figures de proue de ce mouvement ? Andrew Tate, homme d’affaires et ancien kickboxeur professionnel, anime une chaîne sur YouTube qui s’adresse principalement à de jeunes garçons. Il a écrit sur Twitter « les femmes portent la responsabilité d’être agressées sexuellement ». Arrêté en début d’année pour organisation d’un groupe criminel, trafic d’êtres humains et viols, il est depuis assigné à demeure. Jordan Peterson, professeur de psychologie, écrit « si on pousse trop les hommes à se féminiser, ils deviendront de plus en plus intéressés par une idéologie fasciste. Il faut donc remettre les femmes à leur place naturelle, biologique, sinon nous finirons dans le chaos ».

Les cercles d’hommes sont-ils importants ? Autant que les cercles de femmes. Mais s’il n’y a pas de partage entre ces cercles, la dualité demeure et peut mener à la polarisation des débats.

Lorsque les femmes sortaient de la loge de la lune, elles partageaient leurs rêves et leurs visions avec les hommes. Les sociétés des Peuples Premiers se basaient sur le partage : non pas la générosité, concept importé par la colonisation ; non pas la charité, concept importé par le christianisme. Juste le partage naturel. Si naturel, qu’il n’est nul besoin de dire merci.

Stone edge
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Le dimanche 29 octobre a lieu « Les cercles d’hommes d’Armoni-Santé » à Saint-Victor-et-Melvieu

Pour retrouver notre article présentant l’association Armoni-Santé : cliquez-ici

Site internet de l’association : cliquez-ici

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